Méditation de Carême par Maurice Joyeux s.j.
En écho au dossier "Et mon corps ?" (n° 21 de janvier de la revue Vie Chrétienne), et à l'occasion de l'entrée prochaine des chrétiens orthodoxes grecs en Carême le 20 mars, Maurice Joyeux, jésuite résidant à Athènes, nous propose cette méditation.
Les quarante jours du carême chrétien se réfèrent aux quarante jours où Jésus, « poussé par l’Esprit », depuis le Jourdain de son baptême, se rendit au désert.
Il y fut tenté jusqu’au suicide en solitaire depuis le faîte du Temple de Jérusalem.
Il y fut plus précisément tenté par la Parole de Dieu elle-même, tordue de façon mensongère par l’ « Ennemi de nôtre nature humaine ».
Le « diable », Satan ou le démon, cet être sans corps ni visage est cette sorte de serpent qui parle et qui ment depuis toujours.
Ses mots au souffle mortifère se glissent dans les mots, pensées et gestes de Dieu même pour les détourner de leur puissance de communion et de guérison. Ils sont « soupçon, manipulation ».
Tout à l’inverse, l’Esprit d’Amour et de Vérité nous donne un corps, il nous invite et aide à développer et préserver en nos corps, toutes les antennes de la vie. Il nous maintient réceptifs au monde des êtres et des choses, au réel. Il est « communion et compassion ».
C’est pour cet Esprit-là, Esprit de création, que nous pouvons aimer notre corps, un corps de vivant !
Combien de souffles et d’images, de mots et d’idées travaillent nos intelligences et nos cœurs ? Combien de paroles sans visages ou bien aux traits si vifs des idéologies et convictions, même religieuses, viennent susciter en nous ambitions et orgueils, violences ou jalousies, fantasmes de puissance, aveuglements nationalistes ou fondamentalistes ? On gagnerait tant à jeûner de toutes ces choses encombrantes !
L’avoir, l’être, le pouvoir ne nous fascinent–ils pas dans le sentiment de fusion ? A l’opposé, la misère, le néant, l’impuissance ne nous détruisent-elles pas dans le sentiment de séparation ?... Heureuses pauvreté, chasteté et obéissance de Jésus !
Nous sommes fragiles et Jésus voulut connaître et partager cette fragilité. C’était pour l’habiller de toute sa puissante douceur de FILS DE DIEU, pour nous consoler et relever.
En Seigneur et en Frère de toute humanité, il risqua de se perdre librement et passionnément, en cet Esprit filial qui le mena jusqu’ au cœur de Jérusalem.
Comme il naquit en dehors de Bethléem, il mourut en dehors de Jérusalem mais entre temps il avait donné ses mots et son corps en nourriture de paix et de réconciliation.
Il a su résisté à ces forces anonymes – ces « trompe-l’homme » - qui pensaient lui prendre sa vie et se trompaient elles mêmes à corps perdus (pensons à Hérode, à Pilate, aux pharisiens, à Judas !) : « Ma vie nul ne la prend, c’est moi qui la donne ».
C’est pour cet Esprit là, Esprit de liberté et de dignité, que nous pouvons aimer et risquer notre propre corps, un corps de vivant !
Voici donc quarante jours non d’efforts et de coups de volonté pieuses, mais de délivrance et de grâces ! … « Et des anges Le servaient », précise Saint Matthieu.
Voici quarante jours pour laisser l’Esprit du Crucifié-Ressuscité recréer pour nous un vrai corps de communion et de joie, un corps riche de tous les vivants, un corps chantant les langues de toutes les Nations. Lui seul, à l’inverse du Diable, ne prétend pas parler immédiatement la langue de Dieu. C’est le corps du ressuscité, pacifié et pacifiant.
Maurice Joyeux s.j.