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En communion avec le Conclave



Il ne faut pas confondre une congrégation générale de la Compagnie de Jésus et un conclave. Pourtant, il peut y avoir quelques rapprochements possibles qui aident à sentir l’événement. Relire Claude Flipo, jésuite ancien directeur de notre revue,  de retour de la 33ème congrégation générale jésuite se replaçant au service de l’Eglise après la démission du P. Arrupe, offre un recul intéressant pour « sentir » les enjeux et entrer en communion avec le Conclave qui s’ouvre .



DES QUATRE POINTS DE L’HORIZON

Dans la vaste maison de la Curie Générale, voisine de la place Saint-pierre, il y avait de quoi revivre la confusion de Babel : les langues de cinquante nations, les races des cinq continents, les sensibilités des quatre-vingt-quatre provinces de la Compagnie. Imaginez: 40 Nord-américains, 15 Slaves, 24 Espagnols, 21 Indiens, 18 Asiatiques d’Extrême-Orient, 36 Latino-américains, 10 Africains, 17 germanophones, sans parler des Anglais, Belges, Italiens, et de nous Français qui étions sept, un peu perdus, contraints de mettre à l’épreuve nos ressources linguistiques, et découvrant avec soulagement que les deux tiers des délégués comprenaient la langue de Racine.

Première expérience : celle de se sentir radicalement décentré, de considérer notre noble et fier hexagone pour ce qu’il est la presqu’île de l’immense continent euro-asiatique, proue avancée recevant tous les embruns venant des Amériques...

Bien plus, chacun était amené à comprendre et partager le souci des Jésuites très impliqués dans le drame de l’Amérique centrale, de compagnons tout proches de ceux qui souffrent dans les camps de Chine ou les prisons du Viêt-Nam, d’autres encore venant d’Europe de l’Est ou de certains pays africains où vivent en réfugiés des populations entières. Quelques élus n’avaient pu venir, retenus par des régimes totalitaires. Parmi nous, les uns étaient engagés dans l’immense effort d’une Eglise majoritaire latino-américaine affrontée au problème de l’injustice, tandis que d’autres agissaient au sein de communautés chrétiennes très minoritaires immergées dans l’immense Asie.

Et pourtant, dès le premier jour, nous nous sentions frères et amis dans le Seigneur, liés par quelque chose de beaucoup plus fort que toutes nos différences, une vocation et un appel communs, un lien particulier d’amour et de service de l’Eglise et de son chef, une histoire et un destin communs remplis d’ombres certes, mais aussi de lumière, et enfin le désir intense, exaucé par le Pape après deux années de préparation, de retrouver une tête pour le corps, un supérieur général qui assume le gouvernement ordinaire de la Compagnie.
 
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COMMENT ON ÉLIT UN SUPÉRIEUR GÉNÉRAL

Il fallait dès lors se préparer à l’élection du 29e successeur d’Ignace. Les Constitutions de la Compagnie précisent les modalités et fixent les critères que chacun doit avoir devant les yeux, dans leur célèbre portrait du supérieur général.

Durant quatre jours, dans un climat de prière et de discernement, chacun doit s’efforcer de recueillir les informations nécessaires à son choix. Toute candidature, réunion électorale, ou apparence même d’ambition est sévèrement proscrite. Chacun va trouver l’un après l’autre ceux qu’il estime devoir lui donner les meilleurs éléments d’information sur les personnes auxquelles il pense. Celui qui est interrogé ne doit pas répondre au-delà de la question posée, doit donner pour certain ce qui est certain, pour probable ce qui est probable. Il est enfin précisé qu’on ne doit pas avoir arrêté son choix avant d’être entré dans la salle de vote, au matin du cinquième jour. Chaque soir, un long temps de prière favorise un climat de recherche authentique de la volonté du Seigneur.

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LES DÉFIS A AFFRONTER

La Congrégation avait encore à répondre aux désirs que le Pape avait exprimés et aux demandes venues des provinces, en fonction des défis actuels, concernant sa vie propre et son apostolat. Elle le fit à travers un travail de commissions, de discussions en assemblée, de corrections de texte et de vote. Travail austère de cinq semaines, sur la vie dans l’Eglise, la vie selon l’Esprit, les Frères, la formation, la pauvreté, et enfin sur la question la plus importante, celle de la mission. L’ensemble prit forme dans un document que la Congrégation voulut unique et bref, d’une quinzaine de pages, intitulé: « Compagnons de Jésus envoyés dans le monde d’aujourd’hui ».

Dans ce document, la Congrégation cherche à donner un nouvel élan à la mission de la Compagnie, en écoutant les interpellations de l’Eglise, en relisant l’histoire des vingt dernières années de la Compagnie, et en invitant à regarder avec les yeux de Dieu ce monde difficile, souvent hostile au Royaume et fermé sur lui-même dans une ambiance matérialiste et une recherche exclusive de l’autonomie humaine.

Mais l’évidence de la gravité du sous-développement spirituel ne doit pas empêcher de déchiffrer d’autres signes d’espérance, de solidarité, de refus de l’esclavage. L’Eglise elle-même s’exprime dans de nouvelles formes de communion. et met sa créativité au service de la paix et de la justice.

Que devons-nous faire ? Servir cette Eglise de Dieu, que le Seigneur a voulu dresser au milieu des Nations comme un Signe visible et sacramentel de sa présence et de son salut au coeur de l’histoire humaine tout entière. Cela suppose un sens renouvelé du Peuple de Dieu, une collaboration étroite avec ses Pasteurs, un amour rénové de l’Eglise dont nous avons tout reçu, y compris la mission qui est nôtre, commune ou particulière. Cela suppose aussi une plus grande simplicité, une pauvreté plus réaliste et moins distante de celle d’une grande partie de la famille humaine, car « si c’est l’obéissance qui nous envoie, c’est la pauvreté qui nous rend crédibles ». Nous devons enfin, pour être dociles à l’Esprit qui anime ‘Eglise et travaille les profondeurs du monde, chercher toujours plus l’intégration personnelle et communautaire de la vie spirituelle et de l’apostolat. Ainsi l’authentique évangélisation sera préservée de l’activisme purement séculier comme du spiritualisme désincarné.

Voilà quelques échos très brefs des événements qui ont marqué la Congrégation et de ses convictions. Certains, dans l’opinion, attendaient peut-être des drames ou des éclats. Mais elle a seulement été le fruit d’une lente maturation, qui d’ailleurs reste à poursuivre sous la conduite du nouveau supérieur général. En cette Année de la Réconciliation, elle a cherché à sa façon, pour la Compagnie et pour l’Eglise, au milieu des tensions fortes qui marquent notre temps, non pas à tout concilier, mais à rejoindre l’origine toujours vivante et présente en laquelle tout s’unifie, l’appel que nous avons reçu et qu’évoquait Jean-Paul II au début de son homélie : «Je vous exhorte à accorder votre vie à l’appel que vous avez reçu et à vous appliquer à garder l’unité de l’Esprit par le lien de la paix » (Eph 4, 1-3).
 
Claude Flipo ; Revue Vie Chrétienne n° 273- janvier 1984

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