Impression Envoyer à un ami
Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°86 - Janvier 2024

Laudate Deum, un texte politique car spirituel

Délégué Laudato si’, le jésuite Xavier de Bénazé propose de lire Laudato si’ sur le modèle de la prière d’Alliance.

Le 4 octobre, fête de saint François d’Assise et jour de clôture pour la Création 2023, le pape François a publié une exhortation apostolique « Laudate Deum »1 (LD), « Louez Dieu ». Elle est adressée « à toutes les personnes de bonne volonté sur la crise climatique ». Ce texte court a rapidement été commenté dans la sphère catholique et publique. Un certain nombre d’observateurs en ont surtout fait une lecture politique, pour s’en réjouir ou s’en méfier selon les points de vue. Or si lire Laudate Deum comme une prise de parole politique est juste, se contenter de cela est limitant et risque de passer à côté du mouvement plus profond, spirituel, de ce texte. En effet, si le texte prend des positions politiques nettes, il faut le lire plutôt comme un examen de conscience que comme un pur essai politique. Les lecteurs et lectrices de cette revue ignatienne n’auront ainsi sans doute pas trop de mal à suivre la présentation qui va suivre à partir des trois temps d’une prière d’Alliance : Merci, Pardon, S’il-Te-plaît.

Avant de plonger dans cette lecture, il convient de se rappeler l’histoire, de replanter le contexte.
Pour Laudate Deum, c’est clair, le contexte c’est à la fois la crise de l’Anthropocène dans laquelle le monde s’enfonce, et, ecclésialement, la prise de parole de 2015 dans l’encyclique Laudato si’ 2. On peut ne pas prétendre comprendre Laudate Deum en dehors de Laudato si’. Ce que le pape propose dans Laudate Deum, ce n’est pas une « suite » de Laudato si’ qui se placerait au même niveau que ce texte fondateur. C’est une actualisation, une application, de l’encyclique au contexte actuel ; à savoir, dit le pape au début de Laudate Deum, que depuis la sortie de Laudato si’ « nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture. » (LD 2). C’est cette absence ou grande faiblesse de nos réactions qui justifie alors une exhortation, autrement dit un « encouragement, incitation » selon le Petit Robert.


Merci

Les premiers mots de l’exhortation « Louez Dieu » se retrouvent explicitement dans la dernière phrase. Le texte commence et finit donc comme une louange envers le Créateur et Sauveur. Le propos de LD est donc bien un propos chrétien et qui s’enracine en profondeur dans l’émerveillement et l’action de grâce devant l’œuvre créatrice et salvifique de Dieu. Autrement dit, dans la « L’Évangile de la Création » qui était longuement développée dans le chapitre 2 de LS. Il ne faut absolument pas oublier ce fondement pour bien comprendre LD.
Mais, pourrait-on dire, sur ce premier temps de la prière d’Alliance, « rien de nouveau sous le soleil ». En revanche, c’est au niveau des conséquences de notre péché personnel et surtout collectif que les choses empirent encore plus rapidement que ce qui pouvait se prévoir en 2015. C’est donc avec une certaine logique que la partie « Pardon » va être la plus développée.
 

Pardon

Le pape François a des paroles qui laisse clairement transparaître sa lucidité et donc son inquiétude sur l’état des écosystèmes et du climat de notre planète (LD 2). Dans le chapitre 1 il va ainsi analyser en détail la dégradation de l’équilibre climatique. Mais si le pape se sent « obligé » (LD 14) de faire ainsi un résumé des rapports du GIEC3, c’est parce que devant ce constat mortifère, il cherche à aller plus profond, à nommer la ou les sources du mal, à reconnaître le péché. Pour alors pouvoir engager le bon combat, spirituel, chrétien, et donc bien incarné et soutenu par la grâce.

D’où le fait de nommer comme péchés le climato-scepticisme, le paradigme technocratique, la recherche du profit maximum et court-termiste, le technosolutionisme et « la décadence éthique du pouvoir réel […] déguisée par le marketing et les fausses informations » (LD 29). Ces mots pourraient être pris comme des prises de position politiques trop militantes et partisanes. Mais il faut se rappeler le discours du pape aux cardinaux sur les 15 « maladies » de la Curie pour comprendre qu’on retrouve là une méthode plus profonde. Celle qui nomme le péché sous le regard de Dieu car Sa lumière a donné de le reconnaître ; et qu’ainsi nommé le mal devient un lieu où je peux demander le pardon puis l’aide du Seigneur pour aller de l’avant.


S’il-Te-plaît

On comprend mieux alors que le pape développe si explicitement ce dont nous pouvons « rêver » (LD 54) pour la COP 28. Le chapitre 5 relève certes de la diplomatie, mais c’est aussi plus profondément une prière qui demande au Père d’aider ses enfants à ce « que la COP28 soit historique, qu’elle nous honore et nous ennoblisse en tant qu’êtres humains, [aboutissant à] des formes contraignantes de transition énergétique qui présentent trois caractéristiques : efficaces, contraignantes et facilement contrôlables » (LD 59).
Cette insistance sur un processus de collaboration bien humain peut surprendre. Mais elle correspond aux sources des combats à mener qui ont été nommés à l’étape précédente. Pour remporter ces combats, il faut lutter contre un péché structurel (LD 3) et donc demander la grâce de Dieu à ce niveau structurel.

Oui, LD peut-être lue comme une grande prière d’alliance, un examen de conscience planétaire. Court-elle le risque d’être politique ? Oui, mais c’est un choix assumé. La prière ancrée dans la gratitude du regard de Jésus sur la Création a permis d’accueillir la lumière de Dieu sur nos péchés et leur caractère structurel, donc politique. Elle s’achève donc en demandant la grâce nécessaire pour agir à ce niveau. Et si je pense que cela ne me concerne pas, une des interpellations directes du pape peut me ramener à mon propre examen de conscience : « Dans [ma] conscience, et face au visage des enfants qui paieront les dégâts de [nos] actions, la question du sens se pose : quel est le sens de ma vie, quel est le sens de mon passage sur cette terre, quel est le sens, en définitive, de mon travail et de mes efforts ? »  (LD 33)


Alors, bonne prière d’alliance en Anthropocène.
Xavier de Bénazé, s. j.

Xavier de Bénazé est jésuite, délégué Laudato si’ Écologie pour les Jésuites de la Province d'Europe Occidentale Francophone. Il est aussi coordinateur de l'écocentre spirituel jésuite du Châtelard, près de Lyon.

Copyright photo : Antoine Mekary / Godong

 
Télécharger la revue n° 85 gratuitement
La revue n° 85 sera disponible dans votre dossier Téléchargements
Pour télécharger une autre revue, cliquez sur l'image de la revue souhaitée ci-dessous.

Le produit a été ajouté au panier

Voir mon panier