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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°84 - Septembre 2023

La démocratie à l’aune du bien commun

Le bien commun est une notion essentielle de la doctrine sociale de l’Église. La démocratie authentique ne peut vivre sans la force d’un projet commun et le dialogue rappelle le pape François.

À Athènes, en décembre 2021, le pape François s’est inquiété que « dans de nombreuses sociétés, préoccupées par la sécurité et anesthésiées par le consumérisme, la fatigue et le mécontentement conduisent à une sorte de “scepticisme démocratique” » accentué par « l’éloignement des institutions, la peur de la perte d’identité et la bureaucratie ». Pour y remédier, la politique doit retrouver les pratiques bonnes qui « en tant que responsabilité suprême du citoyen, en tant qu’art du bien commun », fassent passer les exigences communes avant les intérêts privés.
François reprend ici une notion, celle du bien commun, que la doctrine sociale de l’Église catholique pose, depuis ses débuts comme centrale pour permettre la dignité inaliénable, l’égalité et l’unité de toute personne humaine. « Ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une manière plus totale. » (Vatican II, Gaudium et Spes, n°26), le bien commun se comprend comme un bien proprement social qui ne s’atteint qu’ensemble, dont chacun est bénéficiaire et partie prenante, réalisant la vocation de tout humain à l’image de Dieu, celle d’un être avec et pour les autres.

Si les exigences du bien commun sont tributaires des conditions sociales de chaque époque, ce dernier exigera toujours la libre participation de tous à sa réalisation, chacun selon ses capacités propres.

Cela passe par la responsabilité de l’État et du politique d’harmoniser avec justice les divers intérêts particuliers, de garantir l’organisation et la cohésion des différents groupes sociaux au plan national comme international et de rendre accessible à chacun les biens matériels, culturels, moraux et spirituels nécessaires à une vie vraiment humaine.

Mais pour parvenir réellement au bien commun qui seul répond à l’attente de justice, il convient pour l’Église d’articuler à l’action politique les principes de destination universelle des biens et d’option préférentielle pour les pauvres, de subsidiarité, participation et solidarité. Et ce bien commun ne pourra être atteint s’il n’est porté par les valeurs de vérité, liberté, justice et amour qui fondent et transcendent le champ social.

C’est à ce titre que l’Église Catholique considère, spécialement depuis Vatican II, que la démocratie libérale et sociale, en tant que régime politique fondé sur les droits de l’homme et par lequel le peuple est souverain et attribue les pouvoirs et fonctions exercées en son nom et pour son compte, est une réponse particulièrement adaptée à notre temps de pluralisme, d’interdépendance et de complexité technique.

La notion centrale de droit, la séparation des pouvoirs, la liberté d’opinion et d’expression, le poids du mandat citoyen confié à la représentativité élective, la transparence et la médiatisation des débats et conflits sont vus comme des moyens particulièrement appropriés à nos sociétés contemporaines pour permettre la recherche et l’expression du bien commun à partir d’intérêts et de visions forcément divergentes. Il s’agit ainsi de médiatiser le conflit, trouver des réponses mêmes temporaires, les évaluer, les reprendre à nouveaux frais… La définition des droits humains comme principe sont vus comme un bon moyen d’objectiver les attendus de la dignité inaliénable et transcendance de la personne humaine.

Néanmoins, l’Église reste vigilante à juger de l’authenticité démocratique à partir du principe de subsidiarité qui doit garantir l’initiative, la participation et la responsabilité de tous. Sa mise en œuvre suppose l’existence de politiques de promotion et développement des communautés ou personnes moins favorisées. Il faut aussi rester vigilant à certaines formes de concentration, de bureaucratisation ou d’assistance par lesquelles l’État risque toujours de priver la société et les individus de responsabilité.

De même, le principe de participation devra guider toutes les relations possibles entre le citoyen et les institutions, en cherchant à garantir l’aspiration de chacun à exercer son rôle civique avec et pour les autres, au moyen de processus participatifs qui permettent d’être correctement informé, formé, écouté et impliqué dans les affaires publiques. Cela suppose l’inventivité pour dépasser les obstacles culturels, juridiques et sociaux qui s’interposent comme des barrières à cette participation solidaire. La décentralisation, le développement le plus large possible des initiatives locales, des structures de dialogues et de consultation et des corps intermédiaires sont ici déterminants. La désaffection du champ public, les réponses simplistes aux problèmes complexes, les tentatives de négocier en vue de ses seuls besoins égoïstes, la pratique à limiter le fonctionnement démocratique à un seul choix électoral doivent à l’inverse toujours inquiéter.

Mais cette pensée du bien commun risque d’être encore trop abstraite et irénique pour faire face à la crise démocratique présente. Elle appelle une plus grande acuité du côté des moyens, des acteurs et des fins en politique.

Le pape François ne cesse ainsi d’insister de l’encyclique Laudato Si’ à Fratelli Tutti sur la nécessité d’une culture et des processus d’un dialogue exigeant entre tous, seule solution pour trouver des réponses concrètes qui redonnent sens.

Il n’y aura pas non plus de bien commun véritable et de démocratie authentique sans la force d’un projet commun. Comme le disait déjà le conseil permanent des évêques de France en octobre 2021, il nous faut « promouvoir une manière d’être ensemble qui fasse sens », dans un sentiment de justice, de solidarité et de reconnaissance de notre unité et de notre diversité qui réponde aux grands enjeux de la mutation climatique qui remet en cause les fondements de production et de répartition des revenus, base du pacte d’une démocratie libérale et technique pour une part dépassée. Le chantier est grand. Il commence par le plus concret.

Jacques Enjalbert, s.j.

Jacques Enjalbert est jésuite et recteur de la Maison d'Église St-Paul à la Plaine St-Denis. Il a été aumônier de Sciences Po de 2013 à 2022.
 
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