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Question de communauté locale - Revue N°46 - Mars 2017

L'écoute jusqu'au bout ?

 
« L’écoute jusqu’au bout » a été reconnue comme une grâce spéciale faite à la CVX lors de la première Assemblée de la Communauté de Vie Chrétienne en 2012, précisant qu’il s’agissait d’une radicalité qui offrait à cette écoute la possibilité de faire naître une parole vive.
 
Qu’attendre d’une telle écoute ?
 
Si les termes de « jusqu’au bout » semblent bien indiquer l’absence de limite précise, cela veut-il dire qu’il faut être « jusqu’au boutiste » (dans l’écoute) au sens où l’expression usuelle l’entend ? Autrement dit, peut-on tout entendre ? Peut-on tout dire, c’est-à-dire imposer aux autres de tout écouter ?

Nos communautés locales (CL) ne sont pas des groupes de parole, encore moins des lieux thérapeutiques. Si une parole guérit, c’est celle du Christ, ou celle du frère à qui l’Esprit a donné inspiration mais nous ne sommes, à chaque occasion, que des intermédiaires.
 
Une parole ajustée par la relecture
 
Quand on parle d’une écoute jusqu’au bout, il faut d’abord que la parole à entendre soit ajustée, c’est-à-dire filtrée par le temps de la relecture, qu’elle soit une parole issue d’une relecture visitée par le regard du Seigneur et avec sa Grâce. Donc, on ne peut pas dire tout de ce qui occupe nos pensées. Ensuite, nous avons tous fait l’expérience que la parole libère quand il y a un frère pour l’entendre : pouvoir se dire clarifie ce qui est trouble en nous.
 
La parole met de l’ordre, sous le regard du Seigneur par l’écoute respectueuse des frères et soeurs en Christ.
 
Parfois, dans une équipe, des paroles ne peuvent pas être dites du fait de difficultés brûlantes, ou quand l’émotion menace trop. Il arrive alors que certains ne voient pas d’autre solution que de quitter la CL, surtout si leur malaise dure. Pourtant, il pourrait y avoir des alternatives : des entretiens individuels pourraient se révéler préférables pour donner l’espace nécessaire pour se dire. Il est aussi possible de ne pas prendre la parole quand on est trop bousculé par telle ou telle préoccupation.
 
Une communauté arrivée à maturité peut le supporter : il n’y a pas un devoir à prendre la parole et il peut être bon de se le redire. Il y a un risque à en entendre trop quand on est soi-même trop soucieux, un risque que l’on soit alors assiégé de ruminations, de pensées obsédantes et que naisse le sentiment de se noyer dans l’infini des détails du malheur des autres.
 
Ne pas s’obliger à tout entendre
 
C’est alors la saturation qui est au rendez-vous. Si l’on prétend s’obliger à trop en entendre, c’est déjà trop vouloir, en quelque sorte, par sa propre volonté. C’est arrivé à Ignace qui voulait absolument faire mieux que les saints pris pour modèle, ce qui le laissait en proie à la culpabilité. Revenir alors à Principe et Fondement, dans de tels cas, serait bénéfique.
 
Écouter ne nous transforme pas non plus en thérapeute de notre compagnon : ce n’est pas le sens d’ « écouter jusqu’au bout ». Il n’y a pas un terme ultime à atteindre, ni un indicible à réduire à son maximum. Peut-être faut-il entendre le « jusqu’au bout », comme une forme de l’amour qu’on appelle la patience. Que de patience le Seigneur fait preuve avec nous ! Avec humour, nous pouvons convenir que ce que nous entendons nous dépasse mais que le Seigneur y retrouvera les siens !
 
Des membres qui, par leur tempérament, recherchent un soutien concret, peuvent se sentir frustrés quand l’écoute semble s’en tenir à elle-même et ne déboucher sur rien. Une bonne volonté peut nous pousser à nous mettre à la place du frère : vouloir à sa place, faire à sa place, ressentir comme lui…
 
Nous devrions alors nous demander si nous sommes encore à la bonne place car nous ne pourrons vraiment aider notre prochain que si nous restons à la nôtre, pour ne pas nous perdre.
 
La parabole du Bon Samaritain est assez éloquente : il s’arrête, mû par la compassion, pare au plus urgent, prévoit la suite en donnant quelques subsides à l’aubergiste qui va abriter le blessé, puis continue sa route. Il ne s’est pas laissé dérouter (aux deux sens du terme) mais il s’est arrêté le temps nécessaire.
 
Écouter n’est pas une fin en soi
 
Écouter jusqu’au bout est une chose précieuse – dans les limites des précautions précédentes – mais pas une fin en soi, car la deuxième partie de la proposition est essentielle : c’est pour que naisse une parole vive.
 
Une parole où notre Désir puisse être entendu par d’autres qui attesteront l’avoir repéré, surtout quand des paroles se répètent d’une certaine façon au fil des réunions. Le Christ est ainsi un modèle d’écoute pour nous. Quand il fait cette rencontre improbable avec la Samaritaine, il lui fait cette demande audacieuse : qu’elle lui donne à boire. Il ouvre un échange inédit pour cette femme qu’il va écouter comme elle n’a jamais été
écoutée. Il la met en route pour qu’elle trouve en elle la source véritable, dès maintenant.
 
Lors de la résurrection de Lazare, Jésus se fait attendre comme s’il n’entendait pas la demande et la peine de Marthe et Marie. Beaucoup de questions se posent à lui à ce moment crucial de sa mission. Sa préoccupation est que son message soit entendu au bon niveau. Marthe exprime d’abord un reproche, puis une profession de foi théorique mais non encore enracinée dans « l’aujourd’hui »
de ce qu’elle vit. Mais Jésus lui dit « Je suis la résurrection et la vie » et lui demande de l’écouter en vérité, ici et maintenant.
 
Nous avons à écouter jusqu’au bout une parole malgré ses méandres et ses impasses afin qu’elle puisse conduire au Christ, lui qui est le Chemin et la Vie, et seulement à cette fin. On le reconnaît à l’actualité d’une parole, prononcée parfois par nos compagnons, à cette brûlante actualité qui nous dit l’aujourd’hui du Royaume pour chacun.
 
Paul Claveirole
 
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