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La traversée de l'impossible

Le 24 février dernier, Xavier Lacroix, théologien de la Faculté catholique de Lyon et auteur de la La traversée de l'impossible était invité pour une conférence à la maison diocésaine de Blois.

Extrait

Longtemps et souvent, en Occident, on a confondu vie spirituelle et vie intellectuelle, c'est-à-dire située essentiellement dans l'ordre du mental ou de la pensée. Cela conformément à l'idéal grec de la theôria, vision ou contemplation des idées ou formes pures, de l'Un, de l'inconditionné. Le modèle est alors la vie contemplative, la visée n'étant pas de s'incarner mais de se désincarner, pour échapper aux vicissitudes de la vie matérielle, sociale, affective, lesquelles semblent se donner rendez-vous dans la vie familiale. C'est ainsi que Grégoire de Nysse, dans son éloge de la virginité tente de dissuader une jeune fille de choisir le mariage :

« Que de vigilance pour ne jamais se laisser emprisonner dans ces rets inextricables dont on ne peut apprendre avec exactitude les désagréments qu'une fois tombé dans les filets ! Si tu pouvais t'introduire dans cet état de vie, tu verrais un grand mélange de contraires, rire mêlé à des larmes, tristesse confondue avec des joies et partout la mort présente dans les événements, s'attachant à chacun de nos plaisirs. Pour ne rien dire de ces choses banales : le fardeau de la grossesse, le danger de l'accouchement, la peine pour élever l'enfant. »

Précarité, contrariété, contraintes, c'est cela, la condition charnelle ! Nous percevons bien que n'évaluer tout cela que négativement, c'est persister à ranger la vie spirituelle du côté de la permanence, de la maîtrise, de la quiétude. C'est, au fond, en rester à un point de vue dualiste où l'idéal serait de n'être qu'un pur esprit. Souvent l'incarnation a été pensée comme descente de l'âme dans un corps. Descente qui supposerait une existence préalable et que l'on ne peut pas ne pas être tenté d'appréhender comme un appauvrissement. Schéma contestable : d'où pourrait bien venir une telle âme ? Dans la ligne à la fois de la pensée biblique et de la phénoménologie (le principal courant philosophique du xxe siècle), mieux vaut concevoir l'incarnation dans la ligne du sens du mot basar, « chair », de l'Écriture. S'incarner signifie assumer sa condition charnelle, la vivre en vérité, sans se dérober aux caractéristiques de la chair. Or, être chair, ce n'est pas seulement avoir un corps ; c'est être sensible, vulnérable, capable de jouissance comme de souffrance ; c'est ne pas être que volonté, mais aussi marqué par une irréductible passivité. C'est être fragile, soumis au temps, au vieillissement, à la maladie, à la mort. « Toute chair est comme l'herbe. » C'est aussi connaître le désir, l'émotion, qui sont ce en quoi nous sommes touchés par l'autre, au double sens de ce mot, ce qui nous rend capables de proximité avec l'autre, de vibrer à lui, à sa propre chair, à sa vie la plus intime. C'est pourquoi, dans la Bible, avoir un coeur de chair n'est pas du tout péjoratif, au contraire. C'est beaucoup mieux que d'avoir un coeur de pierre ! « J'ôterai de votre chair le coeur de pierre et je vous donnerai un coeur de chair. »

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